Nous partons à l’aventure des restes de l’usine D. que j’ai nommée Hypertoxic comme un graff rencontré dans l’un des entrepôts (voir photo dans l’article). Installée sur une grosse partie de la colline, elle produisait à la fois des sels d’aluminum destinés au traitement des eaux, des bétons projetés et de l’industrie chimique et revalorisait également les déchets à base de mercure. L’activité mercure a cessé en 2011 et avait fait l’objet de longues luttes des habitants voisins contre son extension, la suite de l’histoire contestataire de la commune… Bref, une usine abandonnée qui polluait comme je respire. Aujourd’hui un projet de dépollution et « d’écoquartier » est évoqué mais comme souvent dans ce genre de projet, je crains qu’il n’y ait rien de très écolo puisqu’il faudrait des décennies pour assainir les sols et les cours d’eau aux alentours : cette zone accueille depuis le XIXe siècle des établissements qui produisaient de l’acide sulfurique, du plomb, des engrais phosphatés et autres produits dont les émanations empestaient la ville et ses habitants…
L’histoire de l’industrie chimique dans la région est liée à celle de la soude, nécessaire à la fabrication du savon. Initialement produite à partir de végétaux, un nouveau procédé breveté par un certain Nicolas Leblanc en 1791 va lentement changer la donne en permettant une fabrication de la soude à partir de la décomposition du sel marin avec de l’acide sulfurique. Le passage au procédé Leblanc va commencer en 1809 et dès les années 1815 des protestations, procès, se multiplient par des habitants inquiets des effets des rejets gazeux sur la santé et sur les cultures…
La petite commune où est implantée cette usine était perçue comme suffisamment rurale pour être « loin de la ville », et donc idéale pour accueillir la croissance rapide des soudières. Elle sera ainsi également la reine des contestataires !
En 1816 les usines du vallon sont menacées d’être incendiées. Ça se finit dans la violence, par l’incarcération de plusieurs cultivateurs. L’état va finalement poser un ultimatum aux producteurs de soude pour qu’ils réduisent leurs gaz.
Certains soudiers vont donc délocaliser vers « des déserts » (en gros, la côte littorale), d’autres vont mettre en place ces fameux tunnels de taupes qu’on repère dans le paysage, autrement nommées cheminées rampantes…
La technique des cheminées rampantes, en particulier pour le plomb, permet d’éviter de construire des cheminées très hautes. La construction du conduit à même le sol permet de profiter de la pente naturelle et de ne fabriquer qu’une petite cheminée en haut de la crête. La longueur de la cheminée rampante permettrait ainsi de refroidir et de condenser une partie des fumées, le reste étant relâché à l’air libre à une hauteur permettant de diminuer la concentration des retombées.
Mais la encore des habitants se rebiffent et alignent les contre-expertises pour prouver l’inefficacité des nouvelles cheminées. La bataille fut rude à coup de procès et plaintes mais l’État jugera ces préoccupations environnementales infondées, sauvant ainsi pour un bon moment l’industrie régionale de la soude… L’histoire des soudières se poursuivra tout au long du XIXe siècle, sur fond d’innovations technologiques et d’affrontements fiscaux et économiques, puis aboutira à la production d’engrais chimiques. Elle débute à la fin du XIXe siècle avec l’installation de la société Schloesing frères & Cie.
Pénétrer dans ce complexe abandonné n’est pas bien difficile même si, en cette fin du mois de mai, l’appréhension et la chaleur conjuguées rendent l’exploration incommode. Curieusement, je trouve l’entrée de l’usine en passant derrière une église. Les premiers bâtiments rencontrés, en pierre et recouverts de tôles sont vides mais en poursuivant la petite route bitumée, on rentre dans le vif du sujet.
Encore une fois (voir l’article Une usine sous acide), on constate que la technologie n’est pas forcément LA solution. Et combien même le progrès serait justifié pour produire plus et permettre l’accès à des produits pour une plus large population, devrait-ce se faire au prix d’une pollution durable des sols et des cours d’eaux ? De la santé des habitants voisins qui pensaient naïvement qu’ils auraient du travail à foison et le droit de respirer normalement ? Et que penser des pouvoirs publics qui n’ont jamais pris de mesures suffisantes contre les chimistes et protéger leurs administrés ?