Par un samedi pluvieux de janvier, quoi de plus normal que de visiter un ancien complexe industriel au passé sombre ? La route qui mène à l’ancienne rizerie est longue, le paysage pourtant plat du bord de mer est envahi de cheminées aux fumées malsaines, de tuyaux et de cuves gigantesques. Ce décor qui m’est pourtant familier prend aujourd’hui une dimension inquiétante et lorsque j’arrive dans la ville aux rues désertes, la pluie se met à redoubler d’intensité. Je cherche désespérément une boulangerie histoire de prendre des forces avant d’attaquer la visite de l’immense bâtiment. Je fini par trouver « mon bonheur », constitué d’un maigre sandwich industriel servi sans sourire par la serveuse blasée d’une boulangerie aux produits sans saveur. Dans la voiture, j’engloutis le truc sans plaisir et, avec la pluie, le paysage semble se dissoudre sur le pare-brise. L’ambiance est posée.
Au début du XXe siècle, le site accueillait l’une des plus grosses minoteries françaises par sa capacité, sa technologie innovante et son architecture. La minoterie fut convertie en usine de traitement et de conditionnement de riz dans les années 30. Elle est également réputée aujourd’hui pour avoir été occupée par l’état-major de la marine allemande pendant la Seconde Guerre mondiale.
Cette bâtisse industrielle est la dernière de la ville, elle a marqué l’histoire de cette dernière et celle de ses habitants, et, à en juger de son état, elle parait condamnée. Pourtant il semblerait que la ville souhaite protéger certains éléments :
- L’ancienne maison de maître à l’avant du terrain
- Les platanes qui entourent l’ancienne maison de maître ;
- La fresque qui témoigne de l’occupation allemande située dans le bâtiment Ouest.
Le siège de l’état-major allemand
Lorsque l’on voit le bâtiment pour la première fois, on ne peut s’empêcher de penser qu’une tour d’observation flanquée d’étoiles militaires, n’est pas ce qu’il y a de plus banal sur une ancienne usine. En effet, la rizerie a été occupée pendant le guerre par la Kriegsmarine, la marine allemande. L’usine devint le siège de l’état-major en charge de La Défense côtière et développa des batteries sur toute la côte.
S’il reste encore des inscriptions allemandes sur les murs et, parait-il une carte d’état major peinte sur un mur, j’avoue que je n’en ai rien vu. J’étais peut-être trop occupé à regarder où je mettais les pieds…
L’usine fut libérée de l’occupation allemande en août 1944.
Le riz camarguais et les immigrés de force
C’est en faisant des recherches sur cette ancienne usine que j’ai découvert l’histoire des milliers de travailleurs forcés indochinois employés pendant la Seconde Guerre mondiale sur le territoire français. Après l’armistice signée avec l’Allemagne, la plupart de ces appelés ont été envoyés vers le Sud de la France pour servir différentes industries, et une partie d’entre eux, pour travailler dans les rizières de Camargue où leur savoir-faire traditionnel a permis de relancer une filière qui n’allait plus très bien.
Ils se sont retrouvés ballotés, pour certains pendant dix ans, sans pouvoir rentrer dans leur pays, et sans toucher de salaires pour les travaux épuisants qu’ils ont effectués dans des conditions sordides, aux quatre coins de la France, et surtout dans le Sud. Beaucoup ont vécus pendant des années dans des bidonvilles marseillais et ne furent rapatriés chez eux qu’à partir de 1948
Cette histoire concerne 20 000 indochinois, et même si seulement 500 furent employés dans les rizières, un certain nombre de cultivateurs ont bâti leurs fortunes grâce à ces hommes qui n’étaient pas payés et logés dans des taudis.
Ce passé douloureux resta enfoui jusqu’à ce que les communes fassent la démarche d’honorer la mémoire de ces hommes… soixante ans plus tard.
Quoi qu’il en soit, cette usine a un passé et une architecture digne d’intérêt et j’espère qu’elle restera protégée des pelleteuse qui ont déjà rasé les usines et bâtiments voisins. J’étais surpris d’y trouver encore des futs, des vieilles machines, certaines en bois, le lieu est tellement visité depuis des lustres. D’ailleurs, le jour même j’ai croisé un bon nombre de photographes et une équipe de tournage amateure qui a occupé un rez-de-chaussée toute l’après-midi. Cette vieille cathédrale industrielle mériterait de devenir un vrai lieu culturel…